Histoire d’une entreprise, d’une famille
Originaires de Lorraine, les Cérenville, des protestants exilés en Pays de Vaud, ont rayonné sur le canton et Lausanne deux siècles durant.
L’histoire d’une entreprise
De Cérenville Géotechnique SA est contemporaine des débuts de la mécanique des sols et des roches. En effet, c’est en 1947 que Monsieur Henri-B. de Cérenville de retour du MIT de Boston, fonde à Lausanne le premier bureau d’ingénieurs civils privé traitant de géotechnique en Suisse romande.
Pour mieux servir sa vocation, la société décide en 1968 de se consacrer exclusivement à la géotechnique et aux constructions en relation directe avec le sol. A cette époque, la société regroupait une entreprise de sondages, un laboratoire et un bureau d’ingénieurs. De Cérenville Géotechnique adopte en 1975 la structure d’une société anonyme, avec un capital social entièrement détenu par ses collaborateurs.
En 1977, MM. René Chappuis et Hervé Detrey succèdent à M. Henri-B. de Cérenville à la direction de la société et en fondent une succursale à Neuchâtel en 1981. En 1986, le siège de la société quitte le centre de Lausanne pour Ecublens (VD), profitant ainsi de la proximité stimulante de l’EPFL. En 1995, De Cérenville Géotechnique cesse son activité d’entreprise de sondages pour se concentrer sur le conseil et les prestations de laboratoire, ainsi que d’essais et mesures.
En 2007, une troisième génération de collaborateurs constituée de MM. Jérémie Crisinel, Frédéric Mayoraz et Alain Oulevey accède à la direction de la société. Enfin, en 2010, profitant du dynamisme économique de l’arc lémanique et d’une croissance régulière, De Cérenville Géotechnique crée une succursale à Genève.
Nos méthodes de travail, notre constante humilité dans l’approche de la géotechnique, sans cesse nouvelle et spécifique à chaque projet, ainsi que la richesse de nos archives sont le fruit de cette histoire. Depuis 1947, nous conservons en effet la mémoire du sous-sol en archivant les données géotechniques récoltées dans le cadre de chacun de nos projets. Cet outil nous permet aujourd’hui d’assurer à nos partenaires une économie de moyens et s’inscrit dans une logique de développement durable de la construction.
Nous sommes convaincus du développement et du rôle croissant de la géotechnique, qui constitue un des domaines les plus complexes et sensibles de l’ingénierie civil. Nous ne cessons d’en approfondir la maîtrise, d’en accompagner les progrès, d’en relever les défis et de mettre à votre service d des moyens et des connaissances toujours renouvelés.
L’histoire d’une famille
Originaires de Lorraine, les Cérenville, des protestants exilés en Pays de Vaud, ont rayonné sur le canton et Lausanne deux siècles durant.
La famille de Cérenville eut deux branches distinctes, qui donnèrent à la collectivité des médecins, des avocats et banquiers, un diplomate, un historien et un président du Grand-Conseil. Avec sa sœur cadette Jacqueline, célibataire et aujourd’hui âgée de 77 ans, Henri était le dernier descendant direct vivant portant le patronyme de Cérenville.
L’origine noble des Cérenville n’est attestée par aucun document, «ce qui les dérangeait un peu», selon des proches. Le fondateur fut Charles Alexandre Raymond de Cérenville, natif de Nancy. C’est certainement alors qu’il servait le roi de Pologne comme lieutenant général que cet homme ajouta à son nom de famille Raymond le patronyme «de Cérenville», conformément à une pratique courante de l’époque. En fait, Cérenville est le nom d’un petit village de Lorraine. De religion protestante, le militaire s’exila en Pays de Vaud; il fut reçu bourgeois de Paudex en 1766 et épousa à Onnens, en 1797, Jeanne Antoinette Polier. Plus tard, les descendants de Cérenville se lièrent à d’autres familles de la haute bourgeoisie locale, surtout les Mercier, mais aussi les Larguiers des Bancels, les de Rham, les Blancpain ou les Saussure.
Les Cérenville furent très liés aux Mercier, les tanneurs et précurseurs de l’industrie à Lausanne
La mère d’Henri de Cérenville était la propre fille de Jean-Jacques Mercier-du Molin qui développa la tannerie familiale en amenant à Lausanne l’eau du lac de Bret, en créant le funiculaire Lausanne-Ouchy et en construisant les entrepôts au Flon. Berthe, c’est son nom, passa son enfance dans la maison sous le Pont Bessières, à jouer dans les ateliers, à la forge, et dans les salles où l’on cirait les peaux, ramassant des queues de veau sur les tas de déchets pour les cacher dans son armoire à jouets. Elle épousa le Docteur Ferdinand de Cérenville qui mourut à 43 ans, foudroyé par une cruelle maladie. Six enfants, cinq filles et Henri, étaient nés de leur union.
Le nom de Berthe de Cérenville-Mercier est lié à celui de l’Ecole Vinet à Lausanne. Elle y fut élève avant d’en assumer la destinée, dès 1926. Cette année-là, sa générosité et son esprit de décision sauvèrent l’Ecole du naufrage financier. Dès lors, elle fut, trente et un ans durant, la «fée discrète» qui assura le développement de l’Ecole, présidant son conseil «avec compétences, bienveillance et générosité». Avec son époux, elle fonda et dirigea jusqu’en 1965 la Nichée, cette maison hospitalière à Chexbres destinée à recevoir les garçons menacés de tuberculose.
La tuberculose, c’est le domaine dans lequel avait excellé le grand-père d’Henri et père de Ferdinand. Après ses études médicales à Zürich, le Dr Edouard de Cérenville, né à Seppey près de Moudon, fit une brillante carrière hospitalière à Lausanne. En 1871, il fut nommé médecin chef de l’hôpital cantonal malgré son très jeune âge, coiffant au poteau trois confrères chevronnés et populaires. Il jouissait d’une renommée internationale dans sa spécialité, la chirurgie thoracique. Il contribua à créer la Faculté de médecine de Lausanne et en fut le premier professeur de pathologie interne. « Je n’ai jamais compris qu’on put industrialiser notre profession si noble et si élevée », dira-t-il après avoir consacré quatorze ans de sa vie à l’hôpital. C’est lui qui fonda la Ligue vaudoise contre la tuberculose.
Frère de Ferdinand, Bernard de Cérenville se fit connaître comme historien. Adjoint de l’archiviste cantonal, il publia notamment une recherche sur la Suisse sous le système napoléonien: «Le système continental et la Suisse, 1803-1813» (1906). Troisième fils d’Edouard, René de Cérenville eut une curieuse trajectoire. Se formant en médecine, il bifurqua vite et fit percepteur, puis banquier, attaché à la famille royale de Siam et enfin, secrétaire général de la Banque de Chine à Paris. Il finit sa vie à Lausanne comme chroniqueur artistique.
Descendant de l’autre branche de la famille, les ·cousins germains de Ferdinand et ses frères, Max et Roger, se distinguèrent à leur tour. Comme son grand-père avocat et son père, juge d’instruction cantonal, Max fit le droit. Juriste, expert en fiscalité, il fit une carrière politique sous les couleurs libérales, passant vingt-neuf ans au Conseil communal de Lausanne et quatorze au Grand Conseil qu’il présida en 1917. Administrateur de nombreuses sociétés, il reprit de son père la direction générale de La Suisse Assurances. Son frère Roger exerça la diplomatie et fut consul honoraire de Belgique à Lausanne. Comme d’autres Cérenville, il s’occupa d’institutions de bienfaisance. Ainsi vint-il en aide aux réfugiés belges et russes de la Première Guerre mondiale. Il fut aussi l’animateur bienveillant et le mécène apprécié de sociétés culturelles lausannoises, contribuant à façonner l’image de marque de sa famille.
François Modoux
Article publié dans le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne, le 21 juillet 1995.
La vie d’Henri de Cérenville, père de nos autoroutes
Tous ceux qui l’ont connu gardent le souvenir d’un homme discret et fort distingué, de grande culture et très brillant dans l’exercice de sa profession d’ingénieur. Henri Bernard de Cérenville est décédé le 17 juin 1995 à Londres, où il s’était retiré après une première alerte cardiaque, survenue en 1975, et qui l’avait contraint de mettre un terme à son activité débordante. Âgé de 78 ans, il vivait avec sa femme Suzanne Morris Ruwet, une Belge qu’il épousa en secondes noces en 1977. Il n’eut aucun enfant de ses deux mariages.
Henri fut le seul garçon des six enfants du couple Ferdinand et Berthe de Cérenville-Mercier. Né à Sierre le 15 janvier 1917, il grandit à Lausanne, au Vieux Bellevue sur le plateau de Béthusy. Il suivit le Collège classique (1926-1932), puis le Gymnase classique (1932-1934), avant de s’inscrire à l’École d’ingénieurs, future EPFL.
Son camarade d’études et confident Albert de Goumoëns se souvient avoir préparé avec Henri le travail final de diplôme. Ensemble, ils devaient concevoir la construction d’une usine hydroélectrique à Verbois, sur le Rhône. « Nous planchâmes sur le projet à deux, puis Henri fit tous les calculs. C’était sa spécialité, et moi tous les dessins », raconte Albert de Goumoëns. Ce partage des tâches ne plut pas au professeur et maître de diplôme qui pénalisa les deux jeunes quand bien même leur travail était excellent. Noté cinq sur dix pour sanctionner le fait qu’il n’avait assumé que la moitié du travail, Henri rata d’un poil sans diplôme. Le rappel de cette anecdote n’est pas gratuit : elle détermina la suite de la carrière du jeune de Cérenville. « Henri ne prit même pas la peine de contester cette mesquinerie », se rappelle son ami. Il quitta aussitôt la Suisse et se rendit aux États-Unis, où il acheva, entre 1938 et 1941, sa formation au célèbre Massachusetts lnstitute of Technology (MIT). Puis il commença une brillante carrière d’ingénieur civil.
La guerre en Europe le dissuadait de rentrer. « Il était trop heureux de découvrir des méthodes de travail encore inconnues en Europe », raconte son ami de Goumoëns. II travailla alors pour quelques-uns des plus grands bureaux d’ingénieurs américains, notamment à New York, au Brésil et ou Venezuela, se spécialisant dans le calcul des risques liés à la construction d’ouvrages d’art tels que des ponts ou des barrages.
De retour à Lausanne en 1947. Il fonde le Bureau technique et laboratoire de géotechnique H. B. de Cérenville qui existe toujours sous cette appellation à Ecublens. Il participe dans la région à la construction des autoroutes Lausanne Genève et Lausanne-Villeneuve, fournissant toute l’assistance géotechnique. Il est l’artisan du pont sur l’Asse à Nyon et le concepteur des murs de soutènements entre Chexbres et Chardonne. Il s’engage dans les travaux d’études pour les constructions de I’Expo 1964 à Lausanne.
D’un dynamisme rare. Il endossa des responsabilités au sein de plusieurs grandes sociétés lausannoises. Il présida notamment la Compagnie du Chemin de fer Lausanne-Ouchy fondée par les Mercier, la famille de sa mère.